Lundi 12 avril 2004

J’ai fait un rêve étonnant. J’étais avec maman et Juline dans un magasin, genre supermarché. On en avait fait plusieurs autres avant celui-là, mais je ne me souviens pas de cette partie du rêve. On arrive aux caisses. Un gars du magasin me demande d’enlever ma veste. Je regarde autour de moi : oui, c’est bien à moi qu’il parle. Je porte cette chemise grise en jean que je porte souvent en été. Bon, je la retire. Il me demande de la remettre, et de recommencer. Soit, je m’exécute. Voilà, c’est tout ce qu’il voulait. Pour voir comment je faisais. Ensuite, on s’assoit tous (je ne sais plus pourquoi). Je suis seul ; plus loin, il y a maman, Juline et deux types. Le gars du début nous demande, sur le ton d’un interrogatoire, quelles sont nos orientations politiques. Juline s’empresse de dire « gauche ! » en son nom et celui de maman (en vrai, elle n’est pas si passionnée). Un type dit « communiste ! » et l’autre dit « centre ! » Moi, je ne dis rien. Le gars ne me demande pas mon avis, comme s’il n’attendait aucune réponse de ma part. Je me souviens que j’étais content, au fond de moi, que personne n’ait dit « droite ». Ensuite, le gars nous explique qu’on ne doit pas sortir d’ici. Si on veut continuer notre vie et la réussir, on doit d’abord passer une épreuve : se faire tatouer le Coran du Nord. Allez, voilà que mon inconscient fait des calembours. Mais dans le rêve, c’est sérieux, et je suis intrigué. Je lui demande si c’est indispensable. Cela signifierait-il que tous les autres gens ont déjà le Coran du Nord tatoué sur eux ? Il me semble que le gars a répondu : oui. Ou alors, il a éclaté d’un rire genre démoniaque. Puis, il s’absente. Il va chercher son matériel de tatoueur. J’en profite pour prendre dans la poche de mon manteau (le noir) mon carnet et mon crayon : je me dis qu’il faut absolument que je note tout ça, pour me souvenir de mon rêve une fois éveillé (je savais donc, dans mon rêve, que je rêvais). Le gars me surprend et m’engueule, je dois ranger mon carnet. J’avais seulement pu dessiner son visage : des petites lunettes rondes ; chauve sur le dessus du crâne ; un petit menton rond. J’avais commencé à noter un des ces phrases : « Messieurs… » Je range donc le carnet, mais je garde le crayon pour m’occuper les mains. Je ne me souviens plus comment finit le rêve. Mais, un détail encore : je tiens un livre, genre roman pour enfants Folio Junior. Ça s’appelle Vacances sous la pluie ou Dimanche de pluie. Sur la couverture, maman, Juline et moi sommes dessinés, tenant des parapluies. Il pleut très fort. Il y a deux bulles, avec du texte en anglais. En bas, les trois personnages sont reproduits en tout petit, avec les deux bulles traduites en français. Je ne me souviens plus quel était le texte, mais quelque chose me dérangeait : une question était posée dans la bulle de droite, et la réponse était à gauche. J’ai pensé que c’était du boulot d’amateur : l’ordre des bulles, c’est une règle de base de la lisibilité ! Autre chose me revient : lorsque le gars m’a surpris avec mon carnet, je lui ai dit que je notais un truc que je venais d’imaginer, et il me semble que c’était une allusion à une idée de dessin ou de BD que je ne voulais pas oublier. Le gars m’a cru. Un dernier détail : à un moment, ce gars a pensé que j’étais député. Ça m’a amusé, qu’il ne remarque même pas que je suis un peu jeune pour ça…

17h32. Je suis tout seul. Maman et Juline sont au cinoche pour voir Les choristes, que j’ai déjà vu.

Il y a un laps (trois jours), j’ai pris à la bibli un truc qu’on lit, mais aussi maints mots : ah, voilà, un roman. Il s’agit du roman La disparition par Georges Perec. Il n’y a dans ça aucun « e ». Et, rien que dans ce paragraphe, je galère pour écrire deux lignes sans ce fichu « e ». Je n’y arrive pas. Impossible d’écrire « livre », ni « ouvrage », ni « tome »… il reste « roman ». Ah ! J’aurais pu écrire « bouquin » ! Et dire qu’il a écrit trois cent pages ainsi. Comment a-t-il fait ? Il faut connaître un nombre dingue de synonymes… Parfois, il utilise des mots d’argots, ou du jargon scientifique ou, en désespoir de cause, de l’anglais ou du latin… Tout ceci, ajouté aux tournures alambiquées de contournement, fait un style très particulier… Je viens de calculer : dans ce que je viens d’écrire, sur deux cent lettres, 11 % sont des « e »… pour simplifier, disons qu’une lettre sur dix est un « e »…

Hier, S* est venue à la maison, une heure. Elle m’a raconté l’Espagne. Je ne regrette toujours pas de ne pas y être allé. Sortir en boîte, s’exploser la tronche à l’alcool ou aux pétards, faire le con dans le car, aller à la plage, traîner dans les boutiques de fringues, aller à la piscine, tout ça, c’est vraiment pas mon truc. Surtout la plage. Jamais je n’aurais osé me mettre en maillot devant les autres. C’est con, je sais, mais c’est comme ça. Et le coup des pétards : ça, ça m’inquiète. Les jeunes que je côtoie ne sont pas foutus de passer une soirée ensemble sans fumer et boire. Certains se fument même leurs joints pendant la journée, à la pause du midi, alors qu’on a cours après… C’est pour ça, aussi, que je ne sors pas : les soirées qu’on me propose sont comme ça. Ça ne m’intéresse pas.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.

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