La cote W (depuis longtemps prévisible)

François m’a dit qu’il avait eu du mal à retrouver un truc sur mon site : un article perdu au fond de la botte de foin. Je sais que nous avons tous le même problème, nous autres qui écrivons sur des blogs : les derniers articles sont les seuls visibles, puis ils sont remplacés par les suivants et s’enfouissent dans les couches géologiques du web : un cimetière permanent de nos propres écrits. « À moins de faire un sommaire », me dit François, qui s’y connaît mille fois plus que moi en sites. Je lis son message sur mon téléphone, il y a dix jours, alors que je visite le cimetière de Montauban (coïncidence : le même soir, il publie un billet sur le cimetière du Montparnasse). Rentré chez moi, je commence à cogiter. Il y a moins de quatre cents articles sur mon blog : c’est encore maniable. Mais je pourrais dire aussi : « Il y a près de quatre cents articles ! c’est énorme ». Depuis le temps que je le redoute, voilà, c’est arrivé : je ne m’y retrouve plus moi-même. C’était depuis longtemps prévisible.

« Mais la pièce que le mort tient entre ses doigts a la forme, depuis longtemps prévisible dans son ironie même, d’un W. »

Georges Perec, La vie mode d’emploi

Plutôt qu’un sommaire, pourquoi pas un index ? À la fin du livre, l’index est une invitation à le parcourir à nouveau, dans un ordre différent : à jeter des passerelles, à se faufiler. Je pense au fabuleux index de La vie mode d’emploi et je me promène dans celui de Je me souviens que j’ai pris soin d’emporter avec moi, dans ma valise.

Aux archives de Montauban, les documents antérieurs aux années 1980 sont classés de façon thématique : à chaque étagère est associée une lettre de l’alphabet et, à chaque lettre, l’un des grands domaines de la vie municipale. Par exemple, la cote E concerne l’état-civil ; la cote I regroupe l’hygiène publique, la police et la justice ; la cote R, l’instruction publique, les sciences, les lettres et les arts. Rangé sous la cote 3.I.3, on trouve donc le jugement du boulanger Coffinhol, condamné le 6 mai 1812 par le tribunal civil de Montauban à une amende et à la confiscation de son pain ; et sous la cote 1.R.59, les notes relatives à l’organisation de la fête de Noël 1941 à l’école maternelle de Sapiac.

Aux archives de Montauban comme partout ailleurs, depuis les années 1980, on classe tout dans la cote W : dès qu’une boîte de nouveaux documents est admise, hop, on la range sur l’étagère W, à la suite des autres, par ordre d’arrivée. Mais, avant de fermer la boîte, on identifie bien son contenu dans la base de données : on l’indexe afin de la retrouver plus tard. Sinon, c’est foutu : autant l’envoyer aux oubliettes directement.

Sur mon blog, les billets sont donc rangés sous la cote W : ils s’alignent les uns après les autres, par ordre d’arrivée. Puis, on les oublie. Alors, j’ai entrepris de les rouvrir et de les indexer.

Voilà, j’ai fait un index. Il est ici, et également accessible depuis le menu en haut de la page. Il faut le considérer comme une invitation à la promenade : il faut picorer, piocher, faire sortir un vieux billet de la botte de foin où il se cache. Cet index n’est pas encore terminé : je l’arrangerai au fur et à mesure.

Et aussi – mais ça n’a rien aucun rapport avec ça – j’ai enregistré cette vidéo : « Ne pas trembler » est une nouvelle que j’ai écrite en 2016 pour la revue La piscine. Cette lecture à voix haute est une façon de la faire revivre – ah, ben si, ça a donc un rapport !

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2 commentaires

  1. Le fantôme du Palais….dont les peintures deviennent comme invisibles. Mais pas pour celui qui a du coeur, car ” l’essentiel est invisible pour les yeux, on ne boit bien qu’avec le coeur”

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