Cent soixante-dix mots par minute

Lire Les présents en public : l’idée est simple, a priori. L’ennui, c’est que Les présents est un roman. C’est long, un roman. J’ai passé une bonne partie de la journée d’hier à déclamer tout seul dans ma chambre, à m’enregistrer et à me chronométrer. Dans les moins pires de mes essais (ceux où ma voix est à la fois agréable et expressive et intelligible), j’ai calculé que mon débit moyen était de cent soixante-dix mots par minute. Alors, si je lisais l’ensemble du roman, il nous faudrait six heures et demie – sans pause. Il n’est évidemment pas question d’infliger cela à qui que ce soit – et surtout pas à moi-même.

Alors, je sélectionne des passages. Comment ? Je croise plusieurs critères. Il faut que les passages soient variés entre eux, empruntant à chaque catégorie : scènes de la vie parisienne et scènes au village ; promenades au présent et flashbacks fantasmés ; la vie de Théo et celle de la galaxie de personnages qui gravite autour de lui. Je veux absolument des descriptions, parce qu’elles sont dans l’ADN de ce texte, mais point trop n’en faut – au risque d’endormir tout le monde. Je veux de l’aventure (parce qu’il y en a aussi). Je crois que je vais intervertir deux chapitres qui, extraits de la linéarité du roman, se comprendront mieux dans l’autre sens. Je voudrais, surtout, que le public prenne du plaisir à la musique même de la langue. Qu’il accepte de se laisser porter par le texte, fragmentaire, sans comprendre le fil narratif global. L’important, c’est de comprendre l’esprit du texte, l’âme et l’énergie de mes personnages, et ce que les décors contiennent d’imaginaire. L’histoire, on s’en fout un peu.

Ce texte, même pas encore terminé, commence déjà à sortir de la page. Je le démembre pour le faire exister oralement. À l’oral, c’est un autre rythme qu’il faut trouver, différent de celui que je propose à l’œil par la ponctuation. Et je n’aurai pas, dans l’assistance, des lecteurs suivant du doigt le texte sur le livre imprimé (sourire en coin à François et à ses lecteurs de samedi). Car ce n’est pas encore un livre ! c’est un texte, juste un texte. Et mardi prochain, ce sera un texte vivant, dans l’espace et en images.

L’autre critère de choix – peut-être le principal : j’imagine, en lisant à haute voix, les dessins que Benjamin pourra faire sur mon texte. Il y a certains passages, dans le roman, qui ne sont certes pas cruciaux dans l’intrigue, ni même représentatifs de mon écriture – mais que j’ai très envie de voir mis en images, en mouvement, en couleurs par Benjamin. Quelle tête va-t-il faire à mes bonshommes ? C’est excitant. Déjà, il a dessiné cet immeuble parisien. Et, de vous dire qu’il me botte, cet immeuble, c’est trop peu dire. Les dessins ne répéteront pas le texte, ils lui donneront une dimension supplémentaire, ils l’aideront à décoller. À déployer ses ailes pour emplir tout l’espace de la salle qui nous accueillera. Rien que ça.

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