Je n’ai pas besoin de le voir dans le miroir pour savoir que mon œil rougit. Est-ce bizarre, de dire (d’écrire) « voir mon œil » ? Je ne sais pas si c’est moi qui regarde mon œil ou mon œil qui me regarde, ou si l’œil se regarde lui-même, sans moi. Sans moi ou sans lui — parce que je n’ai pas besoin de cela, justement : de ce regard ; pour savoir que le blanc se teinte de rouge. Je sens une chaleur qui se diffuse. Je perçois une variation de température : est-ce à dire que l’intérieur de l’œil, dans son état normal, n’est pas chaud ? qu’il baigne dans une eau tiède ? car lorsque l’un des minuscules vaisseaux qui l’irriguent éclate et que le sang se répand, la chaleur augmente. Je suis formel à ce sujet. C’est doux. C’est étrange. J’essaie de dissocier cette sensation (l’effet) du phénomène de plomberie qui en est la cause (un tuyau qui fuit et déverse le liquide qu’il transporte), car la cause est désagréable : je n’ai pas du tout envie de penser au fonctionnement de mon corps, c’est un équilibre trop subtil et donc beaucoup trop fragile — prendre conscience de cet équilibre, c’est savoir qu’il peut se rompre à tout moment. Alors, si je m’abstrais de cette idée que j’ai formée à propos des vaisseaux et du sang, j’éprouve seulement la sensation douce du globe oculaire qui s’échauffe. Douce, oui. Elle pourrait même être agréable. Elle n’engendre ni brûlure, ni fatigue. Elle irradie gentiment. Mais elle est trop étrange pour me donner du plaisir. C’est son étrangeté même qui me déplaît. Le caractère étrange, en soi, ne me déplaît pourtant pas — mais, à propos de mon œil, de l’étrangeté je n’en veux pas. De mon œil, j’attends que le blanc soit blanc et que l’iris soit irisé ; j’attends qu’il voie et qu’il voie bien ; qu’il communique une image à mon cerveau, et surtout aucune autre sorte d’information ; je ne lui demande pas la température qu’il fait, à mon œil, et encore moins s’il fait chaud à l’intérieur de lui. Qu’il se fasse oublier.