Il faut bien se nourrir

Un truc de ouf, vraiment. Je sais pas comment le dire autrement. Il aura fallu que je vienne jusqu’ici, en Californie, pour savoir finalement ce que c’est qu’un héron. A priori, on se dit que les hérons, on connaît ça par cœur. Il y en a partout : au parc de Bercy par exemple, ou dans les marais de Luçon. C’est banal, un héron. Pas exotique pour un sou, contrairement à ces gaufres à poche dont je causais hier. Et pourtant.

Ce matin, on était au parc avec les voisines : rendez-vous à huit heures (oui oui, à huit heures, un dimanche) pour déguster un scone de chez Arizmendi en sirotant un litron de café, servi dans son gobelet réglementaire en carton soi-disant compostable. Le parc, c’est l’étape qui vient juste après le café : la promenade (il fait toujours aussi beau, aujourd’hui). Et après le parc, ce sera le farmer’s market de la 9e avenue, où on achètera de fabuleux légumes California grown, vendus au prix du diamant.

On était au parc, donc, avec Zadie et les voisines. Et on a vu un héron sur la pelouse. Immobile. J. me dit alors : « C’est un excellent chasseur » – et je crois d’abord qu’il plaisante, rapport à l’événement d’hier (Zadie débusquant les rongeurs souterrains). Mais, il a raison, et c’est moi qui me goure, moi qui croyait que cet élégant volatile se nourrissait d’insectes ou de limaces : voilà le héron qui, soudain, donne un coup de bec dans une motte de terre ! Il en extirpe un malheureux animal – était-ce une taupe ? une gaufre à poche ? – qui se débat comme un diable, pris en étau dans le bec redoutable du héron.

J’ai pris une photo. Ne regardez pas, c’est trop pénible : la pauvre bestiole bouge encore, j’ai pité pour elle (parce que je pense inévitablement à Krtek, qui ne peut inspirer que la sympathie). Et le héron l’avale, tout rond. On voit alors Krtek (ou, si ce n’est lui, c’est donc son frère), descendre lentement dans le gosier de son prédateur au long bec, emmanché d’un long cou. Et là, inévitablement, c’est au boa que je pense, celui du Petit Prince, le boa digérant un éléphant. J’ai fait un film (ne le regardez pas non plus, c’est trop moche) : on pourrait l’intituler : Héron digérant une gaufre.

Bon. C’est la vie, n’est-ce pas. Il faut bien se nourrir. Les hérons mangent des gaufres (sans sucre) et nous, bêtement, on mange des légumes à cinq dollars la livre. Que voulez-vous. Il faut bien se nourrir.

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