Dimanche 9 novembre 2003

C’est horrible. Il y a des jours, comme ça, on ne trouve rien à dire. Rien. Pendant le repas, il peut y avoir plusieurs minutes de silence à la suite. On fouille dans sa tête. « Qu’est-ce que je pourrais bien dire ? » On trouve un truc. On le dit. L’autre répond : « Oui », « Mhmm » ou « J’sais pas » et, voilà, ça a duré dix secondes. C’est reparti pour trois minutes de silence. C’est insupportable. Par exemple, ce soir, il y a eu dix mots d’échangés. Et j’ai l’impression d’être le seul à faire des efforts.

Pourtant, j’aurais pu parler. C’était une bonne journée, aujourd’hui. Je suis allé au cinoche avec maman : pendant le trajet, même angoisse. Heureusement, la radio comble les vides. On peut toujours faire semblant de ne rien dire parce qu’on écoute attentivement. On a été voir Les sentiments, un très bon film, drôle, émouvant, tout ça.

Dimanche dernier, je m’emmerdais profondément, comme d’habitude. Je me suis souvenu : « À la cave, on a des trucs super que je pourrais remonter. » Papa avait tendance à tout garder : des journaux et magazines comme BD, Charlie, Hara-Kiri… J’y ai trouvé Le trombone illustré il y a quelque temps. Prétextant d’aller ranger à la cave l’aquarium de Juline (j’espère d’ailleurs n’avoir rien cassé, je n’ai pas été très délicat), j’ai dit à maman que j’allais voir si je ne trouverais pas BD (elle ne connaît pas, bien sûr). Elle m’a regardé bizarrement : « À la cave ? Drôle d’idée… C’est si urgent ? » Et j’y suis allé.

C’est formidable, BD. Dans le même carton, il y a les Charlie Hebdo de l’époque de la candidature de Coluche aux présidentielles. Il y a aussi Hara-Kiri mensuel, mais ça n’a pas grand intérêt, je trouve. Et L’Écho des savanes deuxième série, carrément nul, avec que du cul dedans.

Sur Internet, Benoît a créé un forum pour les gens de sa classe et ses copains. J’y participe activement, J’aime bien.

Mais, entre mes BD et mon ordinateur, je ne fais rien. Je ne sors jamais. Normalement à quinze ans, bientôt seize, on sort tout le temps avec des copains. Ben moi, non. Suis-je normal ? En plus, à cet âge, on sort avec des copains… et des copines. Moi, j’ai jamais eu de copine. Je dois être un extraterrestre. Il y en a d’autres dans mon cas, mais, eux, leur problème, c’est qu’ils n’ont jamais réussi. Moi, j’ai jamais essayé. Par ce que je n’ai jamais été attiré par personne.

Le jeudi 20 novembre nous allons, avec la classe, visitez le familistère et l’usine Godin. Ça coûte seize euros cinquante et c’est obligatoire. Je trouve cela scandaleux, je l’ai d’ailleurs dit à la prof. Elle s’en fout. Payant ou pas, elle ne voit pas où est le problème. Le problème, c’est que je n’ai pas envie de payer seize euros cinquante pour partir à 7 h 30 en car, dans un trou perdu au fin fond de l’Aisne, pour visiter une usine de poêles.


Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no1 (« Journal, 14 août 2003 – 15 juillet 2004 »), j’ai quinze et seize ans.

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