Comme c’est étrange. J’ai déployé tant d’énergie pour en arriver là : postuler aux appels à projets (définir un projet, donc), y croire, en avoir envie. Et puis j’étais si content d’être choisi, d’entendre au téléphone l’enthousiasme des organisatrices, de préparer mon expo à Luçon et mes ateliers d’écriture avec les mômes des alentours… Mais, une résidence, c’est un peu plus que ça : c’est aussi « habiter » là-bas — et ce matin, franchement, de devoir quitter J.-E. pour aller m’installer dans cet endroit, un truc dans ma tête refusait de penser que c’était une bonne idée. On n’est pas souvent séparés longtemps. Ou plutôt, pour être exact : quand on est séparés longtemps, je ne me retrouve jamais seul pour autant (« cela fait partie de l’expérience de cette résidence, rappelle-toi », me dis-je intérieurement ; et c’est tout à fait vrai).
J’arrive à Luçon en fin d’après-midi. A. et C., que je ne connaissais que par téléphone, m’attendent sur le quai de la gare avec le sourire. En plus, il fait beau. Je hisse ma valise de mille tonnes dans le coffre de la voiture (je sais bien que j’ai emporté trop de livres, mais ça me rassure), on descend la rue de la Gare (à gauche, le restaurant de la Gare, à droite, l’hôtel des Voyageurs), puis c’est la place de la Cathédrale et, déjà, c’est chez moi — oui, oui, « chez moi ». La maison donne sur un joli jardin : de ma chambre, je vois la flèche de ladite cathédrale. A. et C. s’en vont. Je range toutes mes affaires et j’appelle J.-E. Je lui dis que le lieu est parfait, qu’il est beaucoup trop grand, mais qu’il est agréable et confortable et joli et pratique et tout et tout. Puis, A. et C. débarquent à nouveau, avec plein d’autres gens, notamment S., que j’avais également eue au téléphone. Ce sont toutes celles et ceux avec qui je travaillerai dans les prochaines semaines : l’équipe de la médiathèque quasiment au complet. Ils ont cuisiné exprès : des quiches, des tartes, des gâteaux. Il y a des fromages terribles et des bons apéritifs. On parle de tas de trucs, c’est gai. Enfin, il fait nuit : ils partent d’un coup, me laissant de quoi manger (et bien manger) pour des jours. Je suis tout seul « chez moi », voilà.
Je crois que je me sens bien. Mes livres sont alignés contre le mur de la chambre. Sur la grande table de la salle à manger, j’écris ce billet rapide. Avant, — et cela me semble une autre époque, alors que, pourtant, j’en ai conservé tous les réflexes — avant, j’aurais déjà envoyé un message à ma mère (non, je lui aurai même téléphoné) pour lui dire : Je suis bien arrivé. Mais c’était avant. Encore avant, quand j’étais petit et qu’on n’avait pas les téléphones qu’on a maintenant, ma mère se serait connectée sur le Minitel et aurait consulté la page de mon école pour vérifier que la classe verte était bien arrivée. Je m’en souviens : elle m’avait dit que ça se passait comme ça.
Ce soir, j’écris seulement ce billet, qui sera lu par celles et ceux qui voudront bien s’y intéresser : voilà, je suis arrivé à Luçon aujourd’hui. J’y suis chez moi pour un mois.