Ce qu’il serait possible de faire disparaître entre nous pour permettre à nouveau cette rencontre impossible

Hier sur Radio Campus Lille, dans l’émission Paludes, Nikola Delescluse a parlé du Héros et les autres. On peut réécouter l’émission sur son blog. Cette photo est de lui :

Il commence par lire quelques pages (l’épisode de la fête). C’est doux, cette sensation, d’entendre mes mots qui ne m’appartiennent plus, dits par la voix d’un autre. Puis il parle du livre. Il dit notamment :

[…] dans ces promenades aventureuses qui l’entraînent près des ruines du château, ou loin, en tout cas, de ses congénères ; destination vers laquelle il va essayer petit à petit d’entraîner son ami Félix, de se convaincre que ce garçon qui parfois lui donne l’impression d’être comme les autres est, quand même, un peu semblable à lui, avec cette sensibilité particulière au monde, ce goût de la solitude, ce goût de la réflexion, de la ratiocination, d’un fonctionnement cérébral qui ne serait jamais laissé en jachère. Et sur ces quelques pages ramassées, Antonin Crenn arrive véritablement à nous faire pénétrer dans cette adolescence toute particulière, très tourmentée, tourmentée parfois vainement (et Martin en a conscience) mais tourmentée malgré tout, avec cette incapacité à dire les choses, à savoir de quoi parler, et avec ce sentiment d’être comme derrière une vitre, une vitre qui sépare le personnage principal, ce fameux héros, des autres.

Plus tard, il parle de René Crevel, que je ne connais pas encore (j’ai envie de le lire bientôt, du coup) :

Il y a chez René Crevel cette sensation, ce sentiment d’être séparé par ce qu’il appelle d’« obscènes membranes ». On retrouve ici, distribué différemment bien évidemment, avec l’écriture d’Antonin Crenn, cette même interrogation sur ce qu’il serait possible de faire disparaître entre nous pour permettre à nouveau cette rencontre impossible. Rencontre impossible qui est au cœur même du Héros et les autres. Rencontre impossible entre Félix et Martin, parce qu’elle est au cœur même des interrogations masculines dans le texte : on a l’impression que le monde de Martin est entièrement constitué de ces garçons dont il observe le corps à la piscine, qui le fascinent et l’attirent et qui, en même temps, lui semblent résister à son approche. […]

À la fin, il dit :

Cette statue […] est à la fois une représentation, presque une configuration, de ce Martin, qui est placé au cœur même de la ville comme l’est la statue de ce jeune homme (qui crie au moment où il semble tué), mais qui en même temps est séparé de cette ville, n’appartient pas véritablement à ce monde, et dont l’alliage de métal fait qu’il est comme insensibilisé, coulé dans un bronze qui lui interdit cette humanité à laquelle aspire Martin. On est véritablement dans un univers de conte, aussi, avec cet espoir fou et incroyable du héros qui aspire à être à la fois lui-même et un autre et, dans cette rencontre de deux dualités, à se découvrir enfin lui-même et à se concrétiser, et à se réunir pour n’être plus qu’une personne.

C’est un peu bête d’avoir recopié des passages comme ça : le mieux, c’est quand même d’écouter l’émission ! Je l’ai écoutée presque comme s’il s’agissait d’un autre livre que le mien, et elle me donne très envie de le lire, ce livre. Merci Nikola.

Rejoindre la conversation

4 commentaires

  1. C’est presque aussi étrange pour vous, cher Antonin, d’entendre votre texte lu par un autre, que pour moi de lire des extraits de ma chronique, sélectionnés par vous et “mis en mots”, rassemblés en petits troupeaux noirs sur l’écran blanc de votre site. Je la lis presque comme s’il s’agissait des paroles d’un autre. Merci à vous, et belle découverte de René Crevel !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *