Je dors comme une masse jusqu’à 11 heures.
L’après-midi, nous allons à Saint-Germain tous les trois pour trouver des cadeaux de Noël. Il m’arrive quelque chose d’extraordinaire en entrant à l’Univers du Livre. Quand je passe la porte du magasin, je jette un coup d’œil aux caisses. Et là, qui vois-je ? Qui est le caissier ? Vincent. Oui, lui-même. Le Vincent du RER. Je ressens un pincement dans la poitrine, immédiat, puis une chaleur douce, et je souris. Je suis heureux, j’ai du mal à détacher mon regard de lui.
Au moment de payer nos achats, ce n’est pas sa caisse que nous choisissons. Mais je le regarde. Une femme prend sa place pour le relayer. Il semble ravi de prendre une pause, il quitte la caisse et se dirige vers le fond du magasin. Je vais vers lui pour le croiser. Lorsque nous sommes face à face, très proches l’un de l’autre, je lui fais mon plus beau sourire. Il n’a pas de réaction. Il passe son chemin. Mais je suis sûr d’avoir lu dans ses yeux qu’il m’a reconnu.
J’aurais dû y aller plus franchement, et le saluer. Tant pis. Il a illuminé ma journée. En est-il seulement conscient ?
Un peu plus tard, je réalise en détail tout ce que sa présence a éveillé en moi. J’ai eu envie d’être près de lui, de le toucher, de le caresser, de l’embrasser, de l’étreindre. De le déshabiller et de faire l’amour avec lui. Et aussi, plus simplement : de lui parler, de le connaître, de le regarder, de sentir son regard sur moi, son corps contre le mien, d’entendre sa voix. J’aimerais qu’il me connaisse et qu’il m’aime. J’aimerais qu’il soit curieux, intrigué par moi : qu’il se demande qui je suis. Je voudrais lui demander s’il me reconnaît. J’avais seulement envie de le voir et de lui sourire, de lui adresser un bonjour timide, de lui souhaiter une bonne journée et une belle vie, de lui dire d’être heureux et de le quitter pour ne plus le revoir. Oser peut-être lui serrer la main, lui dire mon nom.
J’aime ces sensations. Je voudrais toute ma vie ressentir ces choses en moi. Être bouleversé par les yeux d’un inconnu. Tomber amoureux d’un garçon entrevu quelques minutes dans un train.
J’ai besoin d’amour. Il faut que je rencontre quelqu’un. Moi aussi j’y ai droit, et je compte profiter de ce droit. Il me faut de l’amour, des sentiments et du sexe. Une belle histoire comme celles des autres, qui dure deux jours ou deux ans. Pour essayer. Pour savoir quelle est cette chose qui nous sert de moteur, qui nous fait avancer.
J’ai évolué. Je n’exclue plus l’éventualité du « milieu homosexuel » pour faire une rencontre. S’il le faut… ! Je me dis que c’est le seul moyen. Au fond, là-bas, les choses sont plus simples… Alors, pourquoi ai-je ces a priori négatifs sur ce « milieu » ?
Je considère parfois Alexandre comme une passerelle possible vers ce milieu. C’est avec cet espoir que je m’accroche à lui. Mais je n’ai eu aucun contact avec lui depuis notre rencontre, à la soirée chez Flore. Mercredi, j’ai profité de trente secondes d’Internet (qui est le plus souvent en panne) pour entrer son adresse dans mes contacts MSN. Aujourd’hui, nouvelle trêve dans les pannes d’Internet : mais Alexandre n’était pas en ligne, je n’ai pas pu lui parler. Peut-être réussirai-je avec lui ce que j’ai échoué avec Florian. Je sentais que je n’avais pas grand-chose de commun avec Florian ; avec Alexandre, je crois que ça peut marcher, j’ai tout de suite accroché avec lui.
Ce soir, cela fait un an exactement que je suis officiellement homosexuel. Vendredi 17 décembre 2004, je faisais mon premier coming out — à B*.
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no7 (intitulé Vincent, Alexandre, Édouard et les autres, 29 novembre 2005 – 18 mars 2006), j’ai dix-sept et dix-huit ans.