Le journal me manque. Même le journal privé, celui que personne ne lit : normalement je le soigne, pour mon seul usage ; ces dernières semaines je le bâcle. Chaque journée résumée en trois lignes factuelles. J’enchaîne cinq ou six entrées à la suite, en rattrapage. Pas le temps. Quant à ce blog : friche totale. Je ne peux pas écrire beaucoup et vivre beaucoup à la fois. J’ai rarement autant travaillé. Les quatre semaines à Samoëns ! Il faut que tout ça devienne un livre en quelques mois. Je ne panique pas, mais il y aurait de quoi. Et Rue des Batailles encore, Rue des Batailles enfin : le manuscrit revient dans l’état où je l’avais laissé il y a un an pile (il est daté du 20 août 2024), annoté par Sonia qui compile ses propres corrections et celles d’Evelyne. Parfois contradictoires. Tant mieux. Ça veut dire : « À toi de choisir. » Ce n’est pas intrusif, ni directif, c’est une plongée dans le détail qui me laisse maître de mon texte, et me prouve seulement que j’ai été lu avec attention, exigence, bienveillance. Je travaille donc. Changer quelques phrases parfois me demande une heure. À la fin, c’est mieux. Six ans que j’ai ouvert ce chantier. Là, je pars en vacances avec Jean-Eudes et j’écris ceci dans le train. Ces dernières semaines j’ai travaillé beaucoup et vécu beaucoup, on ne peut pas tout faire, et c’est le journal qui est passé à la trappe.

Il faudrait raconter la fin du mois à Samoëns. Un spectacle écrit en dix jours ! avec des artistes que je ne connaissais pas. L’excitation comme une ivresse, une joie qui masquait l’inquiétude, bien réelle : j’ai pris conscience de mon anxiété quand elle s’est dégonflée : la première émotion qui m’est tombée dessus après la représentation était : un soulagement. Parce que des vacanciers m’ont dit : « Je n’ai pas encore eu l’occasion de te parler pendant le séjour, tu ne me connais pas, pourtant je me suis reconnu dans tes personnages. » Wow. Merci. J’écrivais pour eux. Pour la première fois, je n’attendais pas de commentaire littéraire sur mon texte, mais un accueil purement émotionnel : que les gens prennent du plaisir, s’identifient, se sentent compris, aient envie d’en parler ensuite. J’aurais voulu dormir douze heures après ça. Mais la soirée s’est étirée, et Laure a dit : « Sortons. » La nuit au Vercland, nuit presque absolue, la montagne invisible, tous les autres sens en éveil. On écoute. On marche. Les insectes. Une chauve-souris. On s’assoit par terre, dans le noir, on partage la bouteille offerte par Laurence, un verre pour six. Raphaël demande : « Si vous n’aviez pas besoin de travailler, qu’est-ce que ça changerait dans votre vie ? » Quelqu’un, peut-être moi, répond : « Presque rien. Je fais déjà ce que j’aime. » Les autres répondent à peu près la même chose. Le moment est parfait. Je ne sais pas si je veux l’étirer ou y mettre fin. Je voudrais dormir. Rentrer à Paris. Voir ceux que j’aime.

Il y a ces jours tendres avec Pierre mon petit amant de Saint-Jean, dans la maison qu’il m’a décrite avec minutie, sa maison d’enfance à Saint-Jean où son regard s’est aiguisé été après été, le parquet et les vieux meubles, le temps arrêté, l’époque où il voudrait vivre. Ses parents aux petits soins qui composent notre pique-nique, qui veillent sur nos aventures, d’assez près et d’assez loin, juste comme il faut pour se sentir bien, comme le font toujours les parents aimants, j’imagine. J’observe, je me laisse faire, je prends la place qu’on me laisse inventer. Alors Pierre me guide, il veut aller partout : ses balades rituelles sur le sentier côtier, et aussi des nouveautés qu’il expérimente avec moi, car il n’est pas seul à m’initier, on continue d’apprendre ensemble, il a fantasmé la mer avec moi mais il la trouve froide, alors la plage, les rochers et les galets, au grand jour.

Il faudrait raconter les deux heures trop rapides avec Juline : on s’est manqués, on trouve un espace dans nos emplois du temps, juste avant son départ en Bretagne. Je ne comprends pas pourquoi je lui écris si peu, l’appelle si rarement. Sans doute parce que tout est déjà évident entre nous : on se connaît depuis toujours et de mieux en mieux, on n’en finit pas de se rapprocher, on se comprend désormais à demi-mot. Je ne me demande jamais comment elle accueillera les choses que je vis et que je tiens à lui dire, je sais d’avance qu’on s’accordera, et souvent je crois deviner ce qu’elle vit aussi. Mais, est-ce une raison pour ne pas se le dire avec des mots entiers, des phrases longues, des vrais tête-à-tête ? Là, pendant deux heures, je n’ai aucune idée du temps qui passe, et à la fin du créneau imparti, alors que je lace mes chaussures pour partir, elle glisse : « Ah oui, et aussi, je voulais te dire… » Je sais déjà de quoi il s’agit. Je reconnais la voix avec laquelle elle parle de nos parents. Comme ma psy il y a dix ans me balançait la question qui tue sur le seuil de la porte, pour me laisser pleurer dans l’escalier et mariner une semaine, Juline a le chic pour le petit mot qui va droit au cœur, au dernier moment, mais la différence c’est que je ne pleure pas dans son escalier, au contraire, je souris fort, parce que je vais bien et que tout ce qui arrive entre Juline et moi me fait du bien. Je souris fort parce que notre intimité me rend heureux.

Il faudrait raconter encore comment Pierre et moi faisons l’amitié, je n’ai pas fini d’écrire là-dessus, mais cette fois je serai bref. Trente-six heures sans se quitter avec le désir affirmé d’inscrire ce chapitre à la suite de ceux qu’on appelle « aventures » : l’aventure, chez nous, c’est la vie partagée comme une vie augmentée, cette cohabitation dont on prétend qu’elle tue les sentiments à petit feu. Aller au bout du jour, au bout de la nuit. Faire des choses ordinaires et d’autres plus étonnantes. Ah bon, je danse, moi, maintenant ? À force de dire que c’est la première fois, il faut me rendre à l’évidence : désormais j’ose, c’est une ligne à ajouter au catalogue des manières possibles d’utiliser mon corps. Je fais parfois du sport, aussi. S’il me propose quelque chose, je dis oui avant de réfléchir. On ne sait pas quand on se reverra. Ça ne m’inquiète pas. On a la vie devant nous.

Il faudrait écrire encore sur Jean-Eudes et moi. J’ai dessiné une carte que je lui offre au petit déjeuner. J’y ai écrit : « Je te souhaite (pour la vingtième fois) un joyeux anniversaire. » Il ne sait pas où je l’emmène : c’est toujours le même jeu. Je le fais ce cadeau de lui préparer une surprise. On aime que le lieu soit beau, mais pas pour des raisons touristiques : au fond, on se fiche pas mal de visiter les immanquables, de cocher toutes les cases d’un programme. Alors pourquoi cette destination plutôt qu’une autre ? Il y a un château, un parc, des vieilles maisons. On se promène distraitement. On est heureux. On pique-nique dans le jardin d’un musée fermé, vestige d’un palais à demi-effondré. On pourrait vivre la même journée n’importe où : il y a toujours un banc quelque part pour se poser avec son amoureux. Oui, mais ailleurs, ça n’irait pas. J’ai essayé l’année dernière de l’emmener dans des contrées certes intéressantes (car nous sommes curieux de tout), mais désolées. Ça lui a fichu le cafard. Pour ce jour spécial où nous décidons de célébrer ce qui nous lie, nous avons besoin d’un décor qui résonne avec nos sentiments : pas forcément un château (d’ailleurs nous ne restons pas longtemps à déambuler dans ces enfilades de luxe), mais quelque chose de joli, de charmant, de doux, d’accueillant. Quelques vieilles pierres, des feuillages en fouillis, un bistrot, la vie simple, à notre image. Je crois que la semaine à venir ressemblera à ça. J’écris dans le train pour Vannes. La destination sera belle, je n’en doute pas. Je mesure ma chance de parcourir encore de nouveaux paysages. Mais le désir qui m’anime, là, tout de suite, c’est seulement : passer une semaine avec lui. Là ou ailleurs.
Cher Antonin,
la vie….c’était dans les années 2000, Collège P et M CURIE du Pecq…
Une certaine classe de musique… une classe à tout…
Il y avait toi. Si différent. Si brillant déjà. Tes dessins.
J’ai tout gardé…. ceux que tu m’as adressés. Aujourd’hui, 28 août, je retrouve une lettre de toi. Tout y est déjà. Ta personnalité si singulière. Je découvre ton chemin littéraire. Tu n’auras pas de mal à trouver des nouvelles de moi sur internet. J’espère te revoir. Si le coeur t’en dit…. LA VIE ! Christian HANAK….musique et autres poésies de la vie….LE PECQ dans les années 2000