Je suis sorti acheter du pain vers 10h30. J’avais mon jean bleu, mon long manteau noir, ma chemise blanche. Je me suis regardé dans la vitrine de la supérette et je me suis trouvé vachement beau. (Ben oui : et pourquoi pas ?)
Papy et Jacques sont venus pour le déjeuner. Papy portait le pull que Marie lui a offert hier soir ; or, il se trouve que c’est exactement le même pull que nous lui offrons, nous, ce midi. Nous l’échangerons… En attendant, on a bien rigolé.
À 16h30, ils sont déjà repartis.
Je devrais peut-être écrire plus longuement au sujet de Noël, mais je n’en ai pas envie, là, ce soir, à cette heure (il est 19h38)… parce que… j’ai enfin eu un contact avec Alexandre.
Je me suis connecté. J’ai vu qu’il était en ligne aussi. J’ai attendu de voir s’il réagirait. Oui ! Il m’a aussitôt dit : « Salut ! » J’étais content. Puis, d’un coup, j’ai pris sa deuxième réplique comme une claque : « On sconnai dou, dja ? »
J’ai été doublement abattu. Une première fois déçu, parce qu’il ne se souvenait pas de moi. Alors, pour une fois, ma parano était fondée : souvenez-vous, je me demandais : « Qui suis-je pour lui ? Rien… » Une deuxième fois déçu, parce que je n’ai pas aimé sa manière de s’exprimer. Tout est dans ce « On sconnai dou, dja ? » je n’aime pas cette façon d’abréger, ce discours tellement réduit qu’il ne veut plus rien dire. Ce n’est pas une question d’orthographe, c’est cette compression du langage que je trouve désinvolte : ce n’est pas parce qu’on est sur MSN qu’on ne doit pas avoir une vraie conversation… Et puis, ce « On sconnai dou, dja ? » signifie encore autre chose : ce garçon a l’habitude de causer sur MSN avec des inconnus et de filer son adresse au premier venu. Je ne suis qu’un contact lambda parmi une multitude d’autres. Et moi qui avais interprété son geste (me donner son adresse) comme une marque d’intérêt !
En fait, ce type est comme les autres : superficiel. En fait, il est comme Florian. En fait, on n’est pas dans le même monde.
J’avais tellement de choses à lui dire ! D’un coup, j’ai perdu tous mes moyens. J’ai aligné deux ou trois banalités affligeantes, puis j’ai simulé une coupure de connexion pour réfléchir à ce que je pourrais lui dire. Je ne savais pas par où commencer. Finalement, je me suis décidé à lui dire ça : « Ça te dirait de voir un film d’animation que je viens juste de mettre sur mon site ? » (Ce n’est pas vrai : il est en ligne depuis longtemps, mais c’était pour avoir l’air spontané-anodin). Il m’a dit : « Je m’absente cinq minutes et je regarde. » Cinq minutes plus tard, il me demande : « C’est sur quoi, le film d’animation ? » Je réponds. Puis, plus de nouvelles. Un peu plus tard, je m’aperçois qu’il est déconnecté.
J’ai dû paraître bête, à ne pas savoir quoi lui dire. Je ne sais pas à quoi il s’attendait avec moi. Et dire que j’imaginais, moi, qu’on irait boire un verre ensemble, qu’on se raconterait nos vies… Tu parles ! Ce n’est pas le genre. En fait, nous ne sommes pas dans le même monde.
Un espoir qui s’envole.
Je suis triste.
Nous ne sommes pas dans le même monde, certes… Mais qui donc est dans le même monde que moi ?
Je me suis emballé pour rien. Mais merde, merde, merde ! C’est pas possible !
Je le voyais comme mon passeport pour rencontrer d’autres garçons homos (« comme moi », pensais-je). Mais où donc rencontrerai-je ces gens ? Je ne peux pas / je ne veux pas aller seul dans les endroits où on les rencontre.
Et quand donc aurai-je le droit de vivre les choses que j’attends depuis trop longtemps ? Discuter avec des gens comme moi, partager… et rencontrer un jeune homme de dix-huit ans, intelligent, qui voudrait partager des choses simples et personnelles à deux. Un type normal, pas un pédé qui va seulement faire la bringue avec ses « semblables ». Un mec qui s’intéressera à ce que je suis. À ce que je fais. Un dessinateur, pourquoi pas ? Qui n’habitera pas trop loin. Il s’intéressera à moi, il sera un peu comme moi. Et on fera comme tout le monde : on tombera amoureux l’un de l’autre. C’est pas compliqué, quoi, merde !
Joyeux Noël.
Quelle vie.
« Pour un appartement témoin d’une gayttitude Ikéa, combien d’HLM insalubres ? »
Fabrice Neaud, III, 276
Cette rubrique « Carnets » reprend le journal que j’ai commencé à tenir en 2003. Dans ce carnet no7 (intitulé Vincent, Alexandre, Édouard et les autres, 29 novembre 2005 – 18 mars 2006), j’ai dix-sept et dix-huit ans.
Mais que je l’aime, cet Antonin qui s’émeut, qui espère, qui gueule, qui s’amourache, qui s’attriste, qui rayonne, qui réclame, qui désire… Qui vit.