Le matin, on place sa fiche dans une case sur un grand tableau des « présents », dans la classe. Comme les employés pointant en arrivant au bureau. J’ai le souvenir de ça. Pour nous habituer à l’idée que plus tard aussi, quand nous serons grands, quelqu’un sera là pour contrôler notre présence : ça ne s’arrêtera pas avec l’âge. C’était donc cette fiche-là, sans doute, avec la photo pour qu’on se reconnaisse soi-même : « ah, je le connais ce gars-là, c’est celui qui est dans ma glace le matin, quand je grimpe sur le tabouret pour me brosser les dents au lavabo ». Le prénom, on ne savait pas encore l’écrire (on avait trois ans, quatre ?), c’est donc la maîtresse qui l’a mis sur la fiche. Sans majuscule — pour ne pas perturber les jeunes gens que nous étions, peu habitués encore à déchiffrer les lettres ; l’idée, je suppose, est de faire en sorte que chaque lettre n’existe sous nos yeux que dans une seule graphie. Un « a » est un « a », pas un « A », c’est déjà assez compliqué à apprendre, à cause du « o » qui lui ressemble vachement. Alors mon prénom, le voilà, écrit tout en minuscules — et moi, je n’étais pas grand non plus.