Je dis à J. que j’ai besoin d’une demi-heure, pas plus, pour me préparer. Elle semble trouver ce temps long, alors qu’il comprend à la fois le bouclage de ma valise, ma toilette, et la prise du médicament indispensable contre le mal des transports, et ça ne me semble pas de trop. Je rassemble mes affaires éparpillées dans la maison, dans une sorte de grenier traversé par des poutres. Et surtout, dans une pièce du rez-de-chaussée à laquelle on accède à plat-ventre, par la chatière découpée dans la porte ; pour sortir, en revanche, on peut ouvrir la porte normalement. Je trie les cinq ou six peluches alignées contre le mur : je peux très bien les laisser ici, je n’en ai aucune utilité. J’emporte seulement le genre de minuscule ourson sans bras, qui ressemble à la larve de kangourou dont seule la tête dépassait de la poche d’une peluche de mon enfance. Les gâteaux que J. avait préparés, sortes de panettones massifs, sont disposés au sol sur une nappe. Voilà, je suis prêt. Le train part à midi.
D’abord, on doit prendre un café en ville. Les deux femmes qui vont nous accompagner (en voiture) sont âgées. Elles nous paraissent fragiles. L’une est notre hôtesse, que nous quittons au terme de ce séjour : il est temps de rentrer chez nous. L’autre vient d’arriver, elle se joint à notre équipée vers le café et la gare. Les deux s’emmitouflent. Elles parcourent les vêtements de la penderie comme on feuillette un livre. Elles craignent le froid et l’humidité. Une étoffe colorée, très fine, m’est vantée comme extrêmement chaude, parce qu’elle est tissée avec des poils de plumes. La visiteuse convainc l’autre femme de porter un long manteau gris matelassé, qui la fait doubler de volume.
Impatientés par ces préparatifs, J. et moi regardons au-dehors. Une grande baie vitrée offre une vue fantastique sur la mer. « J’aime cette lumière quand la mer est à contre-jour », dis-je à J., car cela produit des reflets irisés. À notre gauche, on voit la côte découpée. Une plage est nichée dans une brèche. Plus loin, un bateau, silhouette noire sur le scintillement de l’eau, à cause de cette fameuse lumière. Au fond, des falaises se détachent par pans successifs, de plus en plus clairs, comme en Normandie. Dans le rêve, j’identifie plutôt ce paysage à San Francisco, bien qu’il ne ressemble pas du tout au San Francisco de la vie éveillée. Il se pourrait alors, à midi, que nous prenions un avion au lieu d’un train. Dans la crique où les vagues pénètrent, des hommes s’affairent : la plage est emplie d’une couleur jaune très vive. Du sable ? Non, ce sont les feuilles ou les pétales, grands débris magnifiques, d’une plante qui pousse à proximité : ils tombent et fuient, portés par le vent et les courants océaniques, se déversent sur la plage et la couvrent d’un tapis d’or. Les hommes travaillent à les répartir mieux : ils préparent la saison. Ils sont très légèrement vêtus. En short, en t-shirt ; peut-être encore moins que ça. Et nous, nous attendons toujours que l’emmitouflement se termine, pour sortir… Je dis à J. : « Pourtant, au-dehors il fait chaud. »