On ne sait pas mentir

Je crois que je suis fidèle. Il me semble que je n’ai jamais quitté quelqu’un. Il y a certaines personnes que je ne vois plus parce que nous nous sommes éloignés, progressivement et réciproquement. Je n’ai pas le souvenir d’avoir cessé brusquement de désirer la présence de quelqu’un. Il y a des gens que je ne reverrai jamais, sauf si je retombe sur eux par hasard. On ne cherchera pas à se revoir ; et pourtant, nous avons aimé les moments que nous avons partagés. C’était bref et c’était bien. Je ne crois pas qu’une relation est plus belle parce qu’elle est longue (la construction lente d’une intimité), mais je ne crois pas non plus, au contraire, qu’elle serait belle parce qu’elle est brève (l’intensité d’un éclair). Une histoire est brève ou longue, belle ou moins belle, sans que je sache établir de lien entre les deux phénomènes. Puisque j’habite Montauban le temps d’une parenthèse (et pas n’importe quelle parenthèse : un moment de création et de partage), il est inévitable que des rencontres aient lieu, qu’elles soient intenses, et qu’elles s’arrêtent tôt. C’est comme ça. Je ne sais pas si cette échéance est une source d’excitation (je me rappelle mes trois mois d’Erasmus, à un âge où j’étais encore timide : sentant les jours défiler à toute vitesse, j’avais abattu des barrières que je croyais infranchissables, j’avais noué des relations magnifiques en si peu de temps) ou une source de frustration. Est-ce que cela me plaît, de sentir ce plaisir partagé à Montauban ? Oui : c’est grisant. Est-ce que je suis triste que l’histoire s’arrête déjà ? Je ne sais pas. Je dis à des gens : « On se reverra en septembre. » Parfois c’est vrai, parfois ça ne l’est pas. Mais ni moi ni les autres ne pouvons savoir si, effectivement, nous nous reverrons. Si le désir sera encore là dans trois mois. L’important, c’est que chacun y croit quand il le dit.

Je suis passé à l’école Jules-Guesde cet après-midi pour donner aux enfants leur exemplaire du livre qu’ils ont écrit : La boîte du temps, tout juste sorti de chez l’imprimeur. Ils m’ont fait un cadeau : un cahier de mots et de dessins pour dire ce que cet atelier a représenté pour eux. Je n’osais pas espérer ce cadeau, mais j’en avais très envie. Ils l’avaient senti, c’est sûr. Ils savaient que je serais ému. Quand j’ai dit : « je le garderai comme un trésor », ils n’ont pas été étonnés. Ils n’espéraient peut-être pas que je le dise, mais ils en avaient envie. Je sais que ça leur a fait plaisir, et à moi aussi. On a partagé un goûter, puis on s’est dit au revoir. Souvent, on dit « au revoir » pour signifier : « ce serait un plaisir de se revoir », mais on sait qu’on ne se reverra pas. Ou qu’on se reverra seulement par hasard. Pour autant, cet « au revoir » n’est pas un mensonge, puisque ce n’est pas une promesse. C’est seulement l’expression d’un plaisir, d’un désir, d’un sentiment. Et on ne sait pas mentir avec ces choses-là.

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2 commentaires

  1. Merci, pour cette belle poésie, chaleureuse, pleine de vie qui est allée tout droit dans nos cœurs.
    Les élèves de Jules Guesde

  2. Émerveillée par tant de générosité et bienveillance. Un bel instant de partage où les enfants ont découvert des émotions encore inconnues . …. Ambre me parlera longtemps de cet instant … Merci

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