Plusieurs personnes (qui ne se connaissent pas entre elles) me disent que je suis bronzé. Elles n’ont pourtant pas d’intérêt à me flatter (je n’ai pas le pouvoir de leur accorder, en échange, des avantages). Ça doit donc être vrai. J’ai quitté Montauban samedi : j’ai fait le ménage et ma valise, j’ai pris un café sur la place Nationale, j’ai pris le train. Entre Agen et Bordeaux, j’ai commencé à me trouver patraque. J’ai dit à J.-E., dans un texto : « Je me sens raplapla. » Il m’a répondu : « Moi aussi. » Ce doit être la faute au houmous resté au soleil trop longtemps, que nous avons liquidé au déjeuner, chacun de notre côté : les mêmes causes produisent donc les mêmes effets. Arrivé à Paris, il fait gris : rien ne me fait plus plaisir que de marcher dans les rues, dans cette fraîcheur. L’air caressant finit de dissiper la lourdeur des pois chiches qui me restaient sur l’estomac. Avec tout ça, je n’ai même pas lu dans le train. J’ai essayé de dormir. Et je trimballe ma valise bourrée de livres à travers Montparnasse, le Quartier latin, le pont de Sully et la Bastille. L’air frais, je vous dis : il n’y a que ça qui me fait du bien.
Non : Paris aussi me fait du bien. Le soir, nous allons au cinéma pour la première fois depuis quatre mois. Presque la vie normale. Un soir, une nuit, un matin. Les rues du quartier, la Nation, le boulevard de Ménilmontant, le petit café du jardin de Reuilly. Aux Mots à la bouche, je tombe sur S. à qui j’avais envoyé un message une heure plus tôt : on poursuit donc la discussion dans la vraie vie, c’est-à-dire dans la librairie. Cette rencontre est fortuite et, à la fois, la plus naturelle du monde, car j’ai rencontré S. la première fois ici-même, c’est-à-dire ailleurs – au temps où la librairie était dans le Marais. Dans le Marais, nous poursuivons la boucle, un peu plus tard, et croisons la route de deux voisins. Je leur demande : « On se voit ce soir ? » en référence à l’apéro organisé dans la cour. Ils n’en feront pas partie, non ; mais je rencontrerai d’autres voisins inconnus, car notre cour est vaste et densément peuplée. Je découvre que M. passe toujours ses vacances dans le Tarn-et-Garonne et que N. et I. sont originaires de Toulouse : ce n’est pas Montauban, mais ce n’est pas loin. Au début de la soirée, quelqu’un me dit que je suis bronzé. Je le crois. S’il avait dit la même chose à la fin, alors qu’il faisait noir dans la cour, j’aurais trouvé ça louche.
alors si tu as bronzé avec la barbe…surtout, ne te rases pas ! parce que à la fin de la soirée, dans la nuit noire, on t’aurait dit “on ne voit que ça!”