Ils n’aiment pas quand le personnage meurt, eux non plus. Au moins, tout le monde est d’accord là-dessus. Je suis retourné au lycée Gustave-Eiffel de Rueil, hier, pour rencontrer des élèves (ce ne sont pas ceux de l’atelier d’écriture, mais d’autres). Ils ont lu Le héros et les autres et nous avons parlé ensemble du livre. Une jeune fille m’a demandé pourquoi c’était l’un des personnages (et pas l’autre) qui se suicidait — je lui ai répondu que je n’étais pas si certain qu’il se soit suicidé, et surtout, que l’autre aussi s’était suicidé à sa manière, même s’il n’était pas mort. Une autre m’a demandé si Martin était homosexuel (marrant, ce mot : au collège de Thiais, celui qui avait posé la même question avait dit : gay) — je lui ai répondu que je pensais que oui, même s’il était difficile d’en être sûr. En fait, tout était comme ça : j’ai répondu à côté des questions, tout le temps. Et ça ne les a pas frustrés, au contraire ; je crois bien qu’ils ont pigé qu’il était beaucoup question de ça dans le livre : de questions (plutôt que de réponses) et d’interprétations (plutôt que de certitudes).
Peut-on raisonnablement penser que ces jeunes gens de Rueil en 2019 sont meilleurs que ceux qui avaient quinze ans en 2003, dans mon lycée, à six kilomètres de là ? Je ne vois pas pourquoi ils seraient si différents. Mais alors, si ça se trouve, les gens qui étaient dans ma classe en ce temps-là étaient, eux aussi, des êtres doués d’intelligence et de sensibilité ? Je suis obligé de croire que oui — et j’étais complètement passé à côté de cela, à l’époque. Je croyais alors qu’ils n’étaient qu’une masse informe et impénétrable ; ils étaient pourtant des individus munis d’une personnalité. Merci à vous, jeunes gens de Rueil, de me rappeler cela. Vous m’avez eu l’air de chouettes personnes, j’ai aimé répondre à vos questions (j’aurais aimé vous en poser plein, mais nous n’étions pas là pour ça).
« C’est quoi, un bon roman ? » Un garçon m’a demandé ça, à la fin. J’ai répondu à côté, évidemment, parce que je ne connais pas la réponse. J’ai dit que les compliments qui m’avaient le plus touché sur mes livres — deux personnes différentes l’ont formulé, l’un à propos de L’épaisseur du trait et l’autre à propos du Héros — c’est quand on m’a dit : « Je n’ai jamais lu quelque chose comme ça ». Ils n’ont pas prétendu que mes livres étaient les meilleurs qu’ils avaient jamais lu ; ces deux lecteurs m’ont dit seulement que, si je ne les avais pas écrits, personne d’autre ne l’aurait fait. Pour moi, c’est la seule bonne raison de continuer.
À la fin, deux garçons sont venus me voir pour me dire qu’ils étaient contents d’avoir lu Le héros et de me rencontrer (l’émotion, là, pour moi, c’est difficile à décrire), parce que « Notre prof elle est bien, hein, mais les livres qu’elle nous fait lire, des fois, c’est quand même ennuyeux. Alors que le vôtre, il est facile à lire, il nous touche, il parle des choses qu’on ressent. Chercher sa place par rapport aux autres, tout ça. »
Je termine par une spéciale dédicace au jeune homme qui, au moment où le prof a demandé si les élèves voulaient marquer une pause entre les deux heures, a été le seul à répondre : non (je ne vous décris pas son sourire, mais il faisait plaisir à voir). Il faut dire que c’est lui qui a pris la parole, plus tard, pour dire que « Si Martin et Félix ne se parlent pas, c’est peut-être parce que d’aller ensemble dans les mêmes lieux, c’est déjà partager une intimité plus grande que ce qu’ils pourraient se dire par la parole ». Ce qu’on partage quand on partage un texte (que j’ai écrit, et qu’ils ont lu), c’est sûrement de cet ordre-là aussi. Alors j’ai trop parlé, hier, sans doute.
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