« Tu sais, plus je passe de temps chez toi (seul ou à rencontrer des gens), plus je trouve ton projet beau. C’est à la fois très humble et très ambitieux. Humble par la discrétion du dispositif, et ambitieux parce que la chose que tu entreprends de créer n’est rien moins qu’un lieu où l’on se sent bien, où des rencontres adviennent, où des émotions et des idées apparaissent, s’échangent. Les personnes qui ne savent pas à quoi s’attendre, immédiatement sont charmées, et acceptent un café ou un thé, ont envie de prendre leur temps. Elles comprennent que chaque œuvre est liée aux autres : alors, plus elles restent, mieux elles perçoivent les correspondances, sont touchés par ces échos, les petites attentions. Et créent d’autres liens. » J’ai écris ça à Henri pour le remercier, car j’ai l’impression qu’il m’a fait un cadeau. Mais en vérité, il n’est pas seul pour accomplir son ambition : c’est moi qui accueille les gens, quand même. Et je crois que les gens me trouvent sympa. Sinon, ils ne me tiendraient pas la jambe tout l’après-midi (certains l’ont fait, c’était chouette), ni ne reviendraient trois samedis de suite (suivez mon regard). On parle des œuvres, puis, très vite, on parle de soi. On pose des questions à l’autre. On s’apprivoise. Les œuvres ne sont certes pas un prétexte, mais, pour le dire plus noblement : elles sont la condition propice et nécessaire pour faire connaissance. L’objet dont on parle, le lieu commun avant la bifurcation. Ce que j’ai oublié de dire à Henri, c’est que je pense à Jérôme ces jours-ci : il faudrait que je lui parle de son travail. Jérôme qui conçoit des dispositifs simplissimes auquel tout le monde peut adhérer : « L’expérience dure environ une demi-heure et ne demande aucune compétence particulière, sinon regarder, discuter et manger des biscuits », disait-il à propos de cette histoire d’agneau : « J’ai mis une tête d’agneau dans un jardin et j’ai invité des humains. » Henri a mis des œuvres dans un appartement et a invité des humains à me rencontrer. La seule condition, c’est d’avoir envie, d’être curieux, d’accepter de ne pas maîtriser. On rencontre un·e inconnu·e : tout peut arriver. Un échange cordial, sans plus ? Une petite tempête de crâne (ô la friction entre deux idées, l’étincelle qui naît de ça, l’idée pour une œuvre future, pour un mot à ajouter au texte en cours), une connexion de deux, trois, quatre esprits (du côté des corps, pour l’instant, rien de concret), un échange qui n’aura pas de suite (beauté de la parenthèse) ou des messages échangés dans la foulée pour ne pas se perdre de vue.
